Présentation de Danielle RASPINI par Jean-Claude ABRARDIl est des rencontres fortuites, inattendues, improbables. Celle de Danielle Raspini et du costume d'arlésienne parait pour le moins atypique, d'autant plus lorsque l'on connaît ses premières peintures qui s'orientaient dès le début dans une démarche très personnelle et résolument “futuriste”, apparentée aussi quelques temps aux “nouveaux surréalistes” puis à “l'art singulier”. Elle fera sa première école de dessin en 1963 puis les Beaux-Arts de Mâcon qui lui apporteront une solide maîtrise du dessin. A Lyon, elle s'oriente ensuite dans le design textile, activité particulièrement formatrice tant dans la connaissance des styles que par l'habileté graphique que demande cette profession qui colle aux tendances de la mode. Durant plus de quinze ans, par goût et par nécessité du métier, elle abordera pratiquement tout l'éventail des créations du moment avec ses propres collections. Mais cela ne lui suffit pas et dès 1972 elle réalisera, parallèlement, ses premières recherches picturales personnelles qui interpellent la critique locale ainsi que sa clientèle internationale toujours à la recherche de nouveautés et qu'elle côtoie en permanence. Ainsi, un grand nombre de ses oeuvres sont dispersées sur les cinq continents sans qu'elle ait ressenti le besoin de se médiatiser. Au début des années 90 elle perdra définitivement le contact avec cette clientèle internationale avertie et prendra du même coup conscience du caractère trop élitiste de la peinture contemporaine. L'art, contemporain ou pas, ne doit-il pas être intemporel et universel? Sans cesser de peindre, elle restera plusieurs années sans expositions notables. Danielle Raspini est une artiste peintre plus spontanée et instinctive que raisonnée. C'est une fille de la campagne, élevée dans une maison forestière isolée dans les bois de la Bourgogne sud. Elle aime le contact avec la nature, elle en a besoin. L'instinctif, le spontané, ce n'est ni dans les écoles d'art ni par le contact avec le monde de la mode qu'elle l'a appris, c'est avec la nature, avec les animaux qu'elle l'a vécu. Arrivée dans la région du Pays d'Arles elle découvre le costume d'arlésienne par l'intermédiaire d'amies et réalisera deux portraits pour lesquels la facture figurative, réaliste s'impose sans équivoque. Le résultat l'intéresse; le travail, malgré sa longueur, lui a été des plus agréables. La véritable révélation se produira quelques mois plus tard lorsqu'elle assistera pour la première fois à un grand défilé organisé dans les rues de la commune. Ce sera un enchantement, une évidence, un déploiement de couleurs, de tissus plus sophistiqués les uns que les autres, un charme d'une féminité particulièrement raffinée, un foisonnement de créativité autour d'un axe imposé par la tradition. Tout est possible, tout n'est pas permis. Dès lors, le peintre futuriste est tombé sous le charme d'un des plus beaux costumes traditionnels de France, le costume de l'Arlésienne. C'est à partir de ce moment que va s'enclencher le véritable processus de rencontre. Si le peintre va avancer dans la description du costume, les Arlésiennes de leur côté vont observer l'évolution de son travail et la guider vers la compréhension d'un authentique phénomène culturel beaucoup plus étendu. Elle va appréhender sans “tabou” la modernité du sujet de la même manière que d'autres redécouvrent aujourd'hui les bienfaits des moulins à vents, du tramway, de la culture bio, des économies d'énergies... Et puis il y a toute cette culture provençale qui accompagne le costume. Cette culture dont on n'a trop gardé que les “pagnolades” mal comprises, car les digressions son nombreuses sur ce sujet et souvent d'une injustice affligeante. Elle va assister à de nombreux défilés, observer toute cette jeunesse qui vit avec sa tradition. Cette tradition qui donne une tenue, une rigueur, un comportement agréable et une jeunesse bien dans sa peau. Certains disent ici : “La Camargue vit à la vitesse du cheval”. Pourtant ce costume si riche, si fastueux par moment, n'a rien d'une manifestation rurale. Il est au contraire, est-ce paradoxe inconciliable, d'une inventivité sans cesse renouvelée. Il est le fruit d'une créativité pleine de soleil, de joie de vivre et de cette troublante poésie “Mistralienne”. Il n'est pas étonnant que Arles ait donné deux grands couturiers à la haute couture française : Louis Féraud et Christian Lacroix. Pas étonnant non plus que ce costume ait traversé les siècles et qu'il soit à ce point vivant car il contient ces valeurs sûres, celles qui font que, quelque soit leur rang social, les êtres se rassemblent dans le respect mutuel. Ne nous méprenons pas, ce travail sur l'Arlésienne que Danielle Raspini nous propose s'inscrit bel et bien dans une démarche tout à fait contemporaine : celle d'un repositionnement du rôle et de la fonction de l'artiste envers la société, à un moment où tout le monde s'accorde à dire que le 20ème siècle a été celui de toutes les déculturisations, une escalade vers le toujours plus nouveau jusqu'aux outrances les plus incohérentes qui ont conduit le public à se désolidariser d'un discours théorique devenu alambiqué, fumeux et incompréhensible. Cette artiste ne dénigre pas l'art contemporain, quelque part on pourrait même dire qu'elle le défend en se mettant à la marge des “systématiques” absurdités de bon ton et incompréhensions évidemment légitimes. Le sujet et la facture quasiment académique nous indiquent un retour aux sources, une peinture de métier, une recherche du beau, tout en conservant la composition, la couleur et la lumière d'aujourd'hui sur des fonds qui viennent du fauvisme, de l'abstrait, du tachisme ou du minimalisme. Un concept qui imbrique le caractère irréversible de la modernité toujours en mouvement aux incontournables valeurs inhérentes à la condition humaine contenues et défendues par cette tradition séculaire et toujours aujourd'hui extraordinairement vivante en ce pays d'Arles. |