Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
L'irréparable
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir? Peut-on déchirer des ténèbres Plus denses que la poix, sans matin et sans soir, Sans astres, sans éclairs funèbres? Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?
L'Espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge Est soufflée, est morte à jamais ! Sans lune et sans rayons, trouver où l'on héberge Les martyrs d'un chemin mauvais ! Le Diable a tout éteint aux carreaux de l'Auberge !
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés? Dis, connais-tu l'irrémissible? Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés, A qui notre coeur sert de cible? Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?
L'Irréparable ronge avec sa dent maudite Notre âme, piteux monument, Et souvent il attaque, ainsi que le termite, Par la base le bâtiment. L'Irréparable ronge avec sa dent maudite !
- J'ai vu parfois, au fond d'un théâtre banal
Qu'enflammait l'orchestre sonore, Une fée allumer dans un ciel infernal Une miraculeuse aurore; J'ai vu parfois au fond d'un théâtre banal
Un être, qui n'était que lumière, or et gaze, Terrasser l'énorme Satan; Mais mon coeur, que jamais ne visite l'extase, Est un théâtre où l'on attend Toujours, toujours en vain, l'Être aux ailes de gaze ! |